Découvrir Hervé Guibert est un plaisir et l’on comprend pourquoi plusieurs de ses lecteurs déplorent le peu de cas que l’on fait de ses oeuvres. Cytomégalovirus est un journal, rédigé durant un séjour hospitalier de vingt jours. Enfermé dans une chambre dans laquelle il sent qu’il peut à tout moment mourir, l’écrivain décrit avec un oeil critique l’environnement médical.
Dans cette description, l’humour grinçant côtoie les remarques les plus acerbes. C’est en cela que le journal suit parfaitement les états d’âme du malade entre espoir et désespoir, entre euphorie et renoncement. Si, d’un côté, c’est avec une certaine légèreté qu’il constate qu’à l’hôpital on trouve « les bons et les méchants, comme dans les contes », il lui arrive aussi de remarquer à quel point ces lieux sont atroces : « l’hôpital, c’est l’enfer ». L’intervention chirurgicale du 24 septembre se passant mal, Hervé Guibert raconte ce qu’il a vécu sur la table d’opération, car, anesthésié localement, il assiste aux difficultés des docteurs et les observe. Le pneumothorax ayant été mal fait, l’auteur se retrouve avec un poumon perforé. Les échecs semblent se multiplier pour un homme déjà atteint de la maladie du SIDA. Et ce cytomégalovirus l’empêchera bientôt de voir correctement. En effet, le journal commence de la sorte : « Vision de l’oeil droit bousillée ; difficile de lire. » C’est l’oeil, la vue, le regard qui sont au coeur de ce journal. C’est l’outil du photographe, l’outil de l’écrivain et du lecteur qui est en péril.
L’aspect touchant de ce journal d’hospitalisation ne réside pas forcément uniquement dans la description sans concession du milieu hospitalier et des états d’âme d’un patient. Ce qui s’avère des plus intéressants, c’est la réflexion sur l’écriture et les arts que mène Hervé Guibert alors même qu’il est alité. La première phrase exprimant la difficulté de lire se trouve, avec un certain humour, contrebalancée par la deuxième : « Ecoute de la musique : pas encore sourd. » La musique convoquée ici devient une solution pour l’homme en passe de devenir aveugle. L’art est encore à sa portée puisque son ouïe n’est pas affectée.
Bien vite, malgré la vue qui baisse, l’écriture s’impose comme une solution face à la douleur. Hervé Guibert insiste sur cette idée selon laquelle l’écriture peut sauver l’écrivain lorsqu’il écrit : « L’écriture pour moi est toujours aussi une sorte d’antidépresseur« . Car écrire revient à calmer l’angoisse, à tempérer la douleur. Quelques jours avant son opération, Hervé Guibert écrit : « Faire de la torture mentale (la situation dans laquelle je me trouve, par exemple) un sujet d’étude, pour ne pas dire une oeuvre, rend la torture un peu plus supportable. ». C’est là qu’est tout l’enjeu : écrire, c’est parvenir à vivre.
L’écriture, dans Cytomégalovirus, est sans doute le traitement le plus efficace. Et, parfois, l’écriture cède le pas à d’autres mentions artistiques. Outre la musique déjà évoquée précédemment, Guibert parle de peinture (« des aquarelles de Turner ou de Constable ») et de photographie. La photographie et l’écriture : les deux arts les plus prisés par l’artiste sont au coeur du livre comme des remèdes contre la souffrance. L’hospitalisation est aussi une épreuve de remise en question : l’auteur s’interroge sur son travail. L’angoisse survient parfois au détour d’une interrogation : « Bien assez lu de livres dans ma vie, bien assez écrit ? ». Les derniers mots du journal sont peut-être une réponse à cette angoisse : « Ecrire dans le noir ? Ecrire jusqu’au bout ? En finir pour ne pas arriver à la peur de la mort ? ». Cette réponse, noire comme la cécité ou le suicide évoqués, ne peut s’empêcher de faire de l’acte d’écrire un acte central, un acte très certainement vital.
Quelques citations
« Je ne sais pas si avec ce journal d’hospitalisation, je fais du bien ou du mal. J’ai l’impression qu’il y a les écrivains qui font du bien, Hamsun, Walser, Handke, et même paradoxalement Bernhard dans la dynamique de son génie d’écriture, et ceux qui font du mal, Sade évidemment, Dostoïevski ? Je préférerais maintenant appartenir à la première catégorie. »
« C’est peut-être très beau une veine qui éclate : un jaillissement qui en met partout, un sang d’artifice bien rouge, un bouquet de sang. Dès que j’y pense, mon sang se met à bouillonner dans les tubulures de plastique. Non, ce n’est pas un éclatement de la veine, mais un reflux de sang. »
« Je ne dirais pas que j’aimerais bien devenir aveugle, il y a des situations de désespoir telles qu’on les retourne comme un gant, mais c’est une situation que je ne connais pas, et j’aime toujours à me glisser, jusque dans l’extrême ou dans le pire, dans des situations inconnues. »
Bio rapide et liens
Né en 1955 et mort en 1991, Hervé Guibert fait partie, au même titre que Koltès, de ces étoiles filantes de la littérature française, mortes très jeunes à cause du SIDA.
Son oeuvre littéraire la plus célèbre est sans doute A l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie. Guibert s’est également illustré dans les domaines du journalisme et de la photographie.